En voyage dans mon pays de coeur au Sénégal, une nouvelle belle aventure humaine et artistique m'attend.
A mon arrivée, je rejoins l'île de Dionewar face à Djiffer, entre océan atlantique et Siné Saloum. Au coeur de la mangrove, habités par des oiseaux incroyables dont le pélican qui me fascine par sa taille et les dauphins pour qui j'ai tant de tendresse, je dessine les motifs des pirogues lébous dans mon carnet de voyage. Je les transforme pour créer des pages colorées plus ou moins abstraites. Mon intuition sait déjà... qu'une belle surprise m'attend !
Mes amis pêcheurs que bientôt je retrouve, me proposent de peindre leur pirogue.
La pirogue est longue et élancée d'environ 12 mètres. Elle n'est pas large. Elle file sur l'eau avec rapidité. Elle a déjà eue une vie et nous allons la restaurer pour une nouvelle jeunesse sur les eaux du merveilleux Siné Saloum.
La pirogue est amarrée à Foundiougne. Sortie des eaux et montée sur la plage pour pouvoir être peinte, nous n'avons pas de protection contre le soleil et la chaleur avoisine les 38°C.
Première étape : le ponçage, suivi de l'époussetage car ici pas d'eau pour nettoyer et l'eau salée n'est bien sûr pas utilisable.
Je découvre comment les pêcheurs colmatent les brèches entre les planches de bois. Ils utilisent une cire de leur fabrication réalisée à partir de polystyrène (récupéré), essence, sciure de bois, ciment blanc. La recette n'est pas très écologique, réalisée avec les moyens du bord dans un pays émergeant où les moyens manquent souvent. Cette cire est très efficace : dure et étanche. Ils ne disposent pas de gants de protection et l'appliquent avec leurs doigts. Ce sont des mains de pêcheurs, habitués au sel et à l'eau, aux tâches manuelles qui vous font de la corne et des écailles dans les paumes, rudes et fortes. Mais je ne peux m'empêcher de penser à ce qui passe de toxique dans leur sang. Je me promet de revenir avec des gants pour mon prochain voyage.
Le bas de la coque c'est à dire la partie immergée est peinte avec une peinture antirouille bien que l'on soit sur du bois mais celle-ci résiste mieux aux attaques de l'eau salée. Ici elle est d'ailleurs plus salée que dans l'océan, ce qui fait de Foundiougne la capitale de la crevette !
Pour la partie supérieure de la coque, nous utilisons une peinture à l'huile blanche. L'intérieur est peint en bleu. Nous procédons par côté donc nous appliquons dans le même temps le blanc sur la partie supérieure et l'antirouille en bas.
Pour les dessins, les choix de couleurs et le matériel sont limités. Heureusement j'ai avec moi un ou deux pinceaux fins destinés initialement à mon carnet de voyage et qui vont m'aider à tracer les détails. Je me passe du violet car je ne trouve pas de rouge primaire sur place, uniquement du vermillon. Ma palette est complété par un jaune d'or, un vert, un cyan, du blanc et du noir.
Les conditions sont différentes de celles que l'on préconise en général pour peindre car je peins en plein soleil, avec les embruns océaniques, le vent qui ramène le sable et la poussière, la lumière aveuglante... J'ai peu de recul sur ce que je fais, à moins de mettre les pieds dans l'eau mais ici, je ne m'y risquerai pas sans chaussure pour éviter les blessures. Je trace sans savoir vraiment où je vais car je ne maîtrise pas cette forme si longue alors je m'en remet à mon expérience et je lâche un peu prise puisque de toute façon, j'ai beaucoup de mal à voir l'ensemble de ce que je trace. Cela ne se passe pas si mal et la peinture a l'air de survivre aux températures extrêmes.
L'ambiance de travail est agréable, de nombreux promeneurs s'arrêtent discuter, m'interrogent, s'étonnent qu'une toubab (une blanche) peigne la pirogue d'un pêcheur. Beaucoup s'intéressent à mon travail. Je suis rassurée par leurs points de vue et leurs compliments.
C'est un endroit où parfois des jeunes rappeurs viennent chanter, les pompiers nettoyer leur matériel, quelques sportifs viennent nager où s'entrainer sur la plage.
Ce sont toujours des hommes, peu de femmes prennent ce temps pour elles de se promener au bord de l'eau et leurs occupations ne les amènent pas jusqu'ici sauf la jeune fille d'Abdoulaye, le mareyeur qui a la gentillesse de garder chez lui notre matériel car il habite près de la plage.
Mes amis Adama et Babou travaillent parfois à mes côtés.
Je ne suis jamais seule avec le souffle du vent, le soleil couchant, le bêlement des moutons que leurs propriétaires lavent dans le fleuve.
La pirogue porte deux noms, ceux d'un couple : Awa et son mari Diogoye qui ont aidé à acquérir cette pirogue.
Les pirogues ont toujours un nom et souvent des signes de protection. Celui ci n'en manquent pas avec ses yeux bleus qui regardent l'horizon, se reflètent et dansent avec les flots.
Ce travail de restauration s'est étalé sur 3 semaines. La peinture décorative seule m'a pris 5 jours. Je travaillais le matin entre 8h30 et 13h et parfois en fin de journée de 16h à 18h30 quand la chaleur n'était pas trop forte. A 18h30, la nuit tombant et sans éclairage, je n'avais pas d'autre choix que d'arrêter.
Quelle joie de voir sa mise à l'eau et mes dessins ondoyer à sa surface, ainsi sublimés par cet élément liquide si fascinant et nécessaire à nos vies.
Je suis heureuse de cette expérience, honorée de la confiance de mes amis et fière d'avoir participer à remettre en état la pirogue Awa et Diogoye.
Je lui souhaite bon vent et aux marins de belles pêches pour nourrir leurs familles, en attendant d'y retourner pour d'autres partages et nouvelles aventures.
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